
C’est par cette question que j’ai commencé une intervention lors du dernier Congrès de la FTQ. Et c’était à propos des États généraux du syndicalisme, réclamés pour le troisième congrès consécutif. En effet, n’ayons pas peur de nous questionner sur ce qui ne fonctionne plus dans le mouvement syndical. Pas pour faire notre procès, mais pour nous améliorer, mieux attirer, rassembler encore plus de monde, lutter pour tou·te·s les travailleurs et les travailleuses. Bref, renforcer notre combat universel pour la justice sociale.
C’est la même chose, pour le racisme et les discriminations systémiques, comme nous le rappelle Will Prosper: mais de quoi avons-nous peur? Il ne s’agit pas de faire le procès des Québécois·e·s, mais de faire les réformes nécessaires pour que, plus que jamais, des tragédies, comme celle subie par Joyce Echaquan, ne se reproduisent jamais. Comme le soulignait le Grand Chef de la Nation Atikamekw, Constant Awashish : « D’après le rapport Viens, les résultats d’une commission d’enquête du Gouvernement du Québec, l’interprétation des tribunaux sur ce qu’est la discrimination systémique est claire : il y a de la discrimination systémique lorsqu’il y a cumul de deux types de discrimination, soit de la discrimination directe (traitement différencié basé sur des préjugés, stéréotypes, etc.) et de la discrimination indirecte (effet préjudiciable de l’application de lois, de politiques, de normes, de pratiques institutionnelles, etc.). Au terme de l’exercice, la commission Viens est sans équivoque : « il semble impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuits dans leurs relations avec les services publics ayant fait l’objet de l’enquête. »»
Qu’en est-il de nos structures syndicales? Y existe-t-il du racisme et des discriminations systémiques? S’il y a 13% de minorités visibles au sein de la population québécoise, y’a-t-il 13% de minorités visibles dans nos structures syndicales, et notamment parmi nos personnes dirigeantes? Poser la question c’est y répondre. Mais alors, qu’est-ce qu’on fait? Car il est aujourd’hui évident, après les manifestations estivales mondiales suite à l’assassinat de George Floyd, le rapport Viens ou celui sur le SPVM, que l’ensemble de notre société est marqué par le racisme systémique… il n’y a pas de raison objective pour que le mouvement syndical y échappe.
Or, le mouvement ouvrier a toujours protégé les minorités et a toujours lutté contre les discriminations. Ça fait partie de notre ADN. Nous l’avons fait pour le prolétariat francophone dominé jusque dans les années 1960. Nous l’avons fait pour les femmes, y compris dans nos syndicats, allant même jusqu’à leur réserver des sièges au sein du Bureau de la FTQ. Nous l’avons fait pour les personnes de la diversité sexuelle, corporelle et de genre, en étant les premiers à négocier des clauses inclusives dans nos conventions collectives. Pourquoi nous ne serions pas capables de le faire vis-à-vis de nos membres issu·e·s des minorités visibles, mais pourtant encore trop invisibles dans nos sections locales et notre centrale syndicale?
D’autant plus que la pandémie de la COVID-19 nous a démontré que les travailleurs et les travailleuses les plus vulnérables – nos « anges gardien·ne·s » – sont surreprésenté·e·s parmi les minorités visibles. Et comme on l’a vu dans la santé, le personnel de soutien scolaire que la FTQ représente est au bout du rouleau, devenu au fil des ans du cheap labor. Imaginez être une éducatrice en service de garde, au front, épuisée, mal payée, qui se fait insulter régulièrement dans la rue parce qu’elle porte un voile, dont les diplômes universitaires étrangers ne sont pas reconnus, dont les accès à l’emploi et au logement sont plus difficiles qu’une personne avec un nom européen. Comment oserait-on lui dire en face que le racisme systémique n’existe pas?
Il existe pourtant des solutions. Les sièges réservés en sont une, même si elle n’est pas parfaite. La FTQ l’a fait pour les femmes, avec il est vrai une certaine résistance. Est-ce un échec? Est-ce que nous retournerions en arrière? Est-ce que la représentativité des femmes s’est améliorée à la FTQ? Est-ce que, parce que cette représentativité s’est améliorée, nous avons abandonné notre combat syndical contre le sexisme ordinaire dans nos milieux de travail ou les discriminations systémiques qui touchent les femmes dans la société (équité salariale)? Beaucoup de questions, pour lesquelles nous avons souvent peur de discuter, de débattre. Et pourtant, c’est à travers la rencontre de toutes nos réalités que nous pouvons concevoir un syndicalisme inclusif, progressiste et écologique, qui nous rendra plus forts.
Le dernier Congrès de la FTQ a vu plusieurs propositions – appuyées par le comité des résolutions – allant dans le bon sens, soit celui de la discussion. Notamment avec la création d’un comité transversal sur les droits de la personne, un comité pour les travailleurs et les travailleuses autochtones, et enfin un comité sur les impacts de la loi sur la laïcité de l’État, critiquée par toutes les autres centrales syndicales. Leur mise en place serait déjà un bon début pour s’interroger sur les discriminations systémiques dans nos structures syndicales.
Certes, il s’agit des débats délicats, émotifs, mais que nous devons avoir, pour le bien de l’unité syndicale et pour l’avenir du pays. Le SEPB-Québec a lui-même été traversé par ces débats, pas toujours faciles, depuis quelques années. Et cela nous a permis d’anticiper les problématiques actuelles, tout en nous réformant de l’intérieur. Ainsi, nous avons créé un « comité équité » chargé de se pencher sur ces problématiques de discriminations, et de proposer des solutions et des espaces de discussions. Nous avons aussi décidé d’inviter à tous nos conseils exécutifs, un·e représentant·e – avec droit de parole et sans droit de vote pour le moment – de chacun des comités concernés par les discriminations systémiques : équité, conditions de vie et de travail des femmes, jeunes. Et vous savez quoi, ça se passe très bien! Notre solidarité a été renforcée ainsi que notre unité. Nous sommes rendus, en 2020, plus fort·e·s que jamais. Parlons-nous!
Sébastien Barraud-Roy, vice-président du SEPB-579 et du SEPB-Qc, 1er Directeur au CRFTQMM