Gestion des déchets radioactifs : La politique, la gestion… et le marchand de sable

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Par Raymond Thibert, président du Comité de santé, sécurité et environnement d’Unifor Québec

Pas besoin d’être expert en sable, gravier et slush de bottes pour savoir que si on les balaye toujours sous le tapis, le plancher flottant va éventuellement être égratigné et va relever… et que quelqu’un va fi nir par s’enfarger et se casser la gueule.

Même si le vendeur de tapis dit « Inquiète-toi pas! Check le tissu, les designs et la couleur ! », on sait très bien qu’il raconte n’importe quoi! C’est malheureusement et dangereusement ce qui en est de la gestion des déchets radioactifs au Canada ! La gestion appropriée, bien sûr, est de passer le balai, l’aspirateur, la moppe, la guenille, et de mettre ça dans un sac ou un seau, et si notre sac de sable et de grenailles se perce, on le réemballe en attendant que les poubelles passent.

Il faut dire que depuis la Seconde Guerre mondiale, les centrales nucléaires et la médecine nucléaire, notre héritage de déchets radioactifs, ne cessent d’augmenter. Il n’existe nulle part au monde une solution sécuritaire et à perpétuité de disposer de ces déchets nucléaires. Rappelons que ceux-ci peuvent avoir une durée de vie d’une centaine de milliers d’années.

Nous avons beaucoup de ces déchets indésirables et nous devons les gérer de façon responsable. Cette meilleure façon est en fait de classer les déchets par ordre d’activité radioactive (intensité et durée de vie), de les emballer sécuritairement de façon récupérable et de les placer dans des voutes souterraines profondes dans le rock, loin de toute source d’eau et de biodiversité, où l’on garderait un contrôle continu pour les siècles à venir dans l’attente d’une éventuelle technologie qui nous permettrait d’en disposer de façon sécuritaire. Bref, en attendant que les poubelles passent…

Un peu de politique avant la politique

À la suite des modifications apportées à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale par le gouvernement Harper en 2012, la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), un organisme non élu, a la responsabilité exclusive de l’approbation des projets nucléaires. Les modifications de la loi ont notamment aboli l’obligation d’obtenir l’avis d’une commission indépendante pour les projets nucléaires et ont exclu le ministre de l’Environnement de la prise de décisions. Puis, l’administration Harper a donné le contrôle de la gestion des obligations fédérales en matière de déchets nucléaires d’une valeur de 8 milliards à SNC-Lavalin et à ses partenaires américains et britanniques (sous la nouvelle bannière : Laboratoires nucléaires canadiens (LNC)), passant au modèle PPP, avec comme mandat de réduire ces obligations le plus rapidement et au moindre coût possible. Et les idées de projets commencent… !

En septembre 2019, à la suite des plaintes de groupes citoyens, le Service intégré d’examen de réglementation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) visite le Canada. Dans son rapport, il recommande au gouvernement fédéral d’améliorer sa politique actuelle et d’établir la stratégie connexe pour donner effet aux principes énoncés dans la politique-cadre en matière de déchets radioactifs du Canada. Le gouvernement fédéral cède aux pressions de l’AIEA et des groupes de la société civile et décide de moderniser sa Politique canadienne en matière de déchets radioactifs. Ressources naturelles Canada organise des discussions publiques, en quatre volets, en mars et mai 2021. Le manque de transparence et d’inclusion est flagrant. Autre décision stupéfiante du gouvernement de Justin Trudeau est de laisser l’élaboration de la stratégie de gestion à la Société de gestion de déchets nucléaires (SGDN), et ce, avant même que la réforme de la politique ne soit complétée !? Le manque de balises laisse le champ libre aux organismes et à l’industrie d’agir comme bon leur semble, sous l’œil complaisant de la CCSN. Il est insensé que le gouvernement fédéral délaisse ses responsabilités nucléaires à des sociétés privées !

D’abord les déchets

Notre inventaire de déchets consiste en de faible, moyenne et haute radioactivité provenant d’isotopes et d’équipements médicaux, de mines, d’anciennes centrales et réacteurs CANDU et de combustible usé.

Un premier projet mis de l’avant est une installation de gestion des déchets près de la surface (IGDPS), un gigantesque monticule où seront confi nés, ad vitam aeternam et pêle-mêle, 1,5 million de mètres cubes (superficie équivalente à 70 patinoires de la LNH) de déchets radioactifs de faible activité ainsi qu’une installation de stockage de réacteurs nucléaires. De plus, nous avons eu la surprise d’apprendre que nous recevons le Cobalt-60 (isotopes médicaux) de plus de 40 pays, parce que nous les avons fournis !

Nous avons également fait la lumière sur le reclassement arbitraire de certains déchets, changeant de moyenne de radioactivité à faible, qui paraît bien sur papier dans un rapport, mais qui est très dangereux dans un pêle-mêle de déchets. Ce projet de Chalk River est à moins d’un kilomètre de la rivière des Outaouais, l’affluent du Saint-Laurent, et source en eau potable pour des millions de Québécois. Ce dépotoir serait exposé aux intempéries et évènements météorologiques (pluie, neige, vents, microrafales, tornades, etc.), rajoutés à la corrosion des contenants et au mélange de lixiviat. Et on met notre espoir à la dernière barrière, entre ce bouilli toxique et notre eau potable, dans une membrane qui devrait avoir une durée de vie de 500 ans.

Autre surprise : l’émission Enquête a récemment dévoilé un projet secret d’enfouissement de déchets hautement radioactifs étrangers au Labrador avec comme promoteur, l’ancien premier ministre Jean Chrétien.

Qu’en est-il de nos anciennes centrales ? La meilleure façon de déclasser les anciennes installations est de les démanteler au complet, de tout emballer, de stocker soigneusement et sécuritairement, puis d’assainir le site contaminé. L’option envisagée par SGDN, appelée « mise en tombeau – In Situ », est de carrément remplir les bâtiments avec leurs composantes hautement radioactives de béton et de les abandonner ainsi sur le bord des lacs et rivières. Selon l’AIEA, cela devrait être la méthode « dernier recours » en cas d’accident majeur (Fukushima ou Tchernobyl), car une fois bétonnés, il serait impossible d’intervenir en cas de fissure et d’écoulement.

Et arrive le marchand de sable

Le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, a déclaré en septembre 2020 « Nous n’avons pas vu de modèle où nous pourrions atteindre le zéro-net émission pour 2050 sans le nucléaire… et les PRM [petits réacteurs modulaires] ». On y consacre une page sur le site Internet du gouvernement fédéral. Les liens d’écoblanchiment sont déjà tissés entre le fédéral, l’industrie nucléaire et les provinces de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick, de la Saskatchewan et de l’Alberta. Le gouvernement fédéral a récemment octroyé une subvention de 70,5 millions de dollars à des entreprises privées pour le développement d‘une goutte d’eau parmi des milliards nécessaires avant de voir quelconque résultat d’ici bien longtemps. On s’assure aussi que ces PRM, qui seraient utilisés par les industries lourdes en régions éloignées, produisent juste assez d’énergie pour éviter les évaluations environnementales. L’autre facette de ce projet est le retraitement (recyclage) des combustibles usés pour en extraire le plutonium, un procédé encore embryonnaire et qui créera un nouveau déchet éternel à gérer.

La promesse nucléaire n’est ni sécuritaire, ni verte, ni abordable et ni réalisable à temps pour contrer les changements climatiques. Nous avons déjà des technologies efficaces et accessibles comme l’éolien, le solaire, la géothermie (et d’autres à développer comme l’hydrogène vert) qui eux sont prometteurs d’emplois décents et durables.

Nous faisons face à une autre distraction qui menace notre santé, notre sécurité et notre environnement !

Nous avons des déchets radioactifs et il faut s’en occuper responsablement à perpétuité. Nous devons aussi éviter d’en créer d’autres et encore moins les importer et devenir le dépotoir nucléaire de la planète.

Vous pouvez laisser un commentaire à Ressources naturelles Canada : https://www.rnca-nengagenrcan.ca/fr/collections/modernisation-de-la-politique-canadienne-en-matiere-de-dechets-radioactifs