Les protections sociales, piliers de l’accès à des droits essentiels

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Par Laurence Fortier, Centre international de solidarité ouvrière (CISO)

Photo solidaritycenter.org

Leur emploi consiste à faire le ménage, le lavage et la cuisine et à prendre soin des enfants, des personnes âgées, malades ou handicapées. Selon les chiffres officiels, on compte environ 2,3 millions de travailleuses domestiques au Mexique.

Pourtant, ces femmes qui rendent des services indispensables à la société n’ont, en très grande majorité (96 %), accès à aucune protection sociale. Elles gagnent souvent moins que le salaire minimum légal et ne disposent d’aucun contrat de travail formel avec leur employeur (98 %). Avec la pandémie de COVID-19 et les mesures sanitaires mises en place, plusieurs d’entre elles ont donc inévitablement basculé de la très grande précarité à la misère.

Du jour au lendemain, Cecilia, qui gagnait 300 pesos par semaine (un peu moins de 18 dollars canadiens) comme travailleuse domestique à Morelia, dans l’État du Michoacán, a perdu son emploi et s’est retrouvée devant rien. Comme elle n’avait pas de contrat de travail, elle n’a pas eu droit à une indemnité de départ et n’a eu accès à aucune prestation sociale.

Pour sa part, Claudia, une travailleuse domestique de la capitale mexicaine, rapporte avoir été renvoyée, sans solde ni indemnités, de trois des quatre maisons où elle œuvrait avant la pandémie. D’autres travailleuses domestiques, plus « chanceuses », ont pu conserver leur emploi, mais rapportent qu’elles n’ont plus le droit de sortir du foyer où elles travaillent. Avec le confinement et les mesures sanitaires, elles ont vu leur charge de travail augmenter de façon exponentielle et le versement de leur salaire a été suspendu ou réduit sans justification.

Pour comprendre la situation de très grande insécurité dans laquelle les travailleuses domestiques mexicaines se retrouvent depuis le début de la crise sanitaire, il faut rappeler la perception historiquement discriminatoire de leur emploi. À l’intersection des discriminations basées sur le genre, la classe sociale et l’origine ethnique, le travail domestique au Mexique est, depuis l’époque de la colonisation, souvent associé à un courant migratoire du sud vers le nord et à l’exode rural. Généralement, des femmes provenant de secteurs appauvris et marginalisés de la population, souvent des migrantes autochtones dans le cas du Mexique, occupent un des métiers les plus invisibilisés, dévalorisés et sous-estimés du marché du travail.

Même si le Mexique a ratifié la Convention no 189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le travail domestique en juillet 2020, tout reste encore à faire pour que ces travailleuses puissent se prévaloir de leurs droits fondamentaux et avoir accès aux protections sociales prévues par la loi. En effet, il incombe aux États qui la ratifient d’assurer la mise en place de mécanismes adéquats pour donner aux travailleuses domestiques l’accès à l’information et à l’ensemble de leurs droits : protection sociale, mais aussi salaire décent, horaire normal de travail, congés, liberté de mouvement, environnement de travail exempt de discrimination, de violence et de harcèlement. À titre d’exemple, depuis avril 2019, un projet pilote a été mis en place pour permettre l’inscription des travailleuses domestiques du pays à l’Institut mexicain de sécurité sociale (IMSS). Celui-ci fournit des soins de santé et des couvertures sociales de base aux travailleurs et travailleuses de l’économie formelle. Cette initiative, qui dépend du bon vouloir de l’employeur, faute de mécanismes de contrôle, n’avait permis d’inscrire que 23 700 personnes en date du mois d’août 2020, soit moins de 1 % des travailleurs et travailleuses domestiques du pays.

Pour Marta Ferreyra, directrice à l’Institut nationale des femmes (Mexique), « la raison fondamentale pour laquelle les employeurs ne formalisent pas leur relation de travail avec les travailleuses domestiques est simplement qu’ils le peuvent (…) ; ils ont beaucoup de mal à s’identifier et se responsabiliser en tant qu’employeurs.

Le changement qui doit s’opérer, plutôt qu’économique, est socioculturel, dans le sens de reconnaître, valoriser et traiter ce travail comme ce qu’il est : un travail ».

En d’autres mots, il demeure extrêmement difficile de modifier la perception historique de ces travailleuses, et la dévalorisation de tâches traditionnellement féminines, pour faire en sorte que les employeurs et l’État mexicain assument leur responsabilité de garantir leur droit au travail décent. Comme le rappelle Marcelina Bautista, fondatrice du Centre d’appui et de formation pour les travailleuses domestiques (CACEH) et du Syndicat national des travailleuses domestiques (SINACTRAHO), « le droit à la sécurité financière ne doit pas dépendre seulement des bonnes intentions, mais être appuyé par la loi ».

Ce que les travailleuses domestiques du Mexique, du Québec et d’ailleurs revendiquent est simple : une reconnaissance de leur statut de travailleuses, de leur apport essentiel au fonctionnement de l’économie globale et, par le fait même, l’accès aux mêmes droits que dans tous les autres secteurs d’emploi, y incluant le droit essentiel à une couverture sociale de base.