Les travailleuses du vêtement du Bangladesh abandonnées par des marques canadiennes

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Par Judith Kohl, Centre international de solidarité ouvrière (CISO)

TAREQ SALAHUDDIN, DHAKA, BANGLADESH

Au Bangladesh, deuxième pays producteur de textiles et de vêtements au monde après la Chine, plus de 2,5 millions de femmes travaillent dans le secteur du vêtement de manière formelle et 10 millions, de manière informelle. Leurs conditions de travail sont bien connues et généralement effroyables : journées de 12 à 15 heures, agressions verbales, physiques ou sexuelles par leurs superviseurs, salaires misérables leur permettant à peine de survivre, faible taux de syndicalisation, etc.

Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, entraînant des pertes considérables pour l’industrie du vêtement, ces travailleuses ont été les premières à en subir les conséquences. Plus de 1 931 marques, dont celles appartenant à 170 compagnies canadiennes, ont suspendu ou carrément annulé leurs commandes, alors que plusieurs d’entre elles étaient déjà en production ou même complétées. Du jour au lendemain, plus d’un million de travailleuses ont été mises à pied sans avoir reçu de salaire ou d’indemnités de départ, malgré qu’il s’agisse d’une obligation selon la loi du travail du Bangladesh.

Le Workers Rights Consortium estime ainsi que plus de 4 000 manufactures de vêtements auraient fermé à travers le monde depuis le début de la pandémie et que les frais d’indemnités de départ associés à payer aux travailleuses du vêtement s’élèveraient à plus de 500 millions de dollars.

Pour la première fois, un rapport publié en mars 2021 par le Fonds humanitaire du Syndicat des Métallos documente la responsabilité directe de compagnies canadiennes dans l’exploitation des ouvrières du textile du Bangladesh. Intitulé Même pas le strict minimum, il rassemble les témoignages de travailleurs et travailleuses à l’emploi de manufactures où s’approvisionnent des entreprises canadiennes comme Lululemon, Joe Fresh (Loblaw’s), Reitmans et L’Équipeur (propriété de Canadian Tire) et a été publié dans le cadre de la campagne Justice pour les travailleuses du vêtement du monde.

Cette campagne du Syndicat des Métallos, appuyée pa r le CISO, exige des compagnies canadiennes de mettre fin aux pratiques de travail abusives, de payer des salaires viables et d’assurer des conditions de travail décentes pour les travailleuses qui fabriquent leurs vêtements.

Les conditions de travail de ces travailleuses rappellent tristement celles des couturières du Québec de la fin du 19e siècle jusqu’aux années 1960 environ, lorsque ces emplois ont été délocalisés à la suite des gains obtenus grâce aux mobilisations historiques de ces femmes.

Ainsi, l’industrie du vêtement du Bangladesh s’est développée au début des années 1980, suivant les recommandations de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui imposaient des politiques de privatisation des entreprises d’État. Ces dernières ont souvent été redistribuées à des politiciens au pouvoir.

Aujourd’hui, les grandes compagnies internationales mettent en compétition les travailleuses à travers le monde pour maximiser leurs profits. La production à la demande et à la dernière minute entraîne une instabilité d’emploi et une pression intenable, des prix de production toujours à la baisse et des salaires toujours plus bas. Les multinationales se déresponsabilisent des violations de droits dans leurs chaînes d’approvisionnement mondiales, la plupart d’entre elles refusant notamment de rendre publique la liste de l’ensemble des usines qui produisent leurs vêtements, ce qui leur permet de se dissocier des sous-traitants contrevenants, de qui elles sont pourtant complices.

Avec la pandémie et dans le contexte néolibéral du Bangladesh, les progrès réalisés depuis la mobilisation internationale consécutive à la tragédie du Rana Plaza (2013) risquent d’être anéantis. En effet, plus que jamais, les multinationales, les propriétaires des manufactures et le gouvernement du Bangladesh prioriseront le profit au nom de la reprise économique.

C’est pour cette raison que les Métallos, le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) et une coalition de plus de 200 organisations de défense des droits des travailleurs et travailleuses demandent la mise en place d’un « fonds mondial de garantie des indemnités de départ financé par une prime que les marques verseraient sur le prix de leurs futures commandes » pour protéger les travailleuses de l’exploitation des multinationales. Comme lors des mobilisations en appui aux ouvrières québécoises du textile du siècle dernier, il est grand temps de se solidariser avec ces travailleuses pour la défense de leurs droits.

Pour consulter le rapport Même pas le strict minimum des Métallos : https://www.usw.ca/fr/impliquez-vous/campagnes/justice-pour-les-travailleuses-du-vetement-du-monde/ressources/body/SHF-Report2020-FR-V2_web.pdf.

Pour vous renseigner sur la campagne des Métallos et signer leur pacte : https://www.usw.ca/fr/impliquez-vous/campagnes/justice-pour-les-travailleuses-du-vetement-du-monde

Pour visionner le webinaire Mondialisation et délocalisation : le cas de l’industrie du textile, du Québec au Bangladesh sur YouTube : https://www.youtube.com/playlist?list=PLPMEQHj02gkJ9nTHLUhe1C6CklnV bPxxk