Un dossier de cinq articles sur les travailleurs étrangers membres du Syndicat des Métallos par Clairandrée Cauchy. Pour lire l’article précédent : Ces travailleurs venus d’ailleurs

« JAMAIS je ne partirai de Lebel-sur-Quévillon ! Même si je n’ai pas d’emploi. Je pourrais faire du fly-in fly-out, mais je ne déménagerai pas. » Voilà ce que répond Anis Mbaya, président de l’unité syndicale à la mine Nyrstar (SL 4796 des Métallos) dont les activités ont cessé pour un durée indéterminée cet hiver, lorsqu’on lui demande s’il pourrait quitter la région pour trouver du boulot ailleurs.
Anis, c’est un immigrant de Montréal. D’origine tunisienne, il a obtenu sa résidence permanente et a vécu 10 ans à Montréal avant de succomber en 2010 aux appels de ses amis tunisiens qui l’ont convaincu de les rejoindre à Lebel-sur-Quévillon, où plusieurs avaient été recrutés directement en Tunisie pour travailler à la mine.
Du jour au lendemain, sa conjointe a lâché son poste d’infirmière à Montréal et lui son poste de machiniste et ils sont déménagés dans le Nord-du-Québec. Si sa femme a trouvé un emploi au CLSC du coin trois semaines plus tard, lui s’est inscrit à une formation sur le traitement de minerai pour être embauché à la mine Nyrstar un an plus tard. Il y a retrouvé 36 travailleurs tunisiens, des mineurs, des géologues, des ingénieurs soigneusement triés sur le volet par la direction de la minière.
« Avec ma femme, on a pris un risque. C’était la bonne décision. C’est plus sécuritaire pour les enfants. La vie en région, c’est plus relax, plus facile. Tout le monde se connaît, il y a plus de soutien. Je ne barre pas la porte de mon char. Si je ne peux pas amener mon gars au hockey, mon chum va l’amener ! », illustre le père dont les deux enfants de 12 et 8 ans sont nés à Montréal et les deux plus jeunes de 3 ans et un an ont vu le jour à Amos.
Avant, il vivait dans le quartier Côte-des-Neiges à Montréal, où on peut entendre parler 176 langues. S’il y a davantage de services pour les immigrants en ville, c’est aussi beaucoup plus impersonnel, souligne-t-il. « À Quévillon, si tu es bien intégré, tout le monde te connaît, tu as des contacts. Si tu cherches, il y a de la job. »
N’empêche, la période actuelle est stressante. En arrière dans son subconscient, il ne peut s’empêcher de se demander si son origine étrangère explique en partie le peu de réponses obtenues aux CV envoyés. « Quand j’envoie des CV, on n’a pas d’appel, pas d’entrevue, les gens commencent à s’inquiéter, on pense au loyer. C’est plus difficile pour les Tunisiens parce qu’on a seulement de l’expérience en extraction du minerai. Le doute est là. Je n’ai pas de preuve. Mais si dans six mois je n’ai toujours pas de job, il y aura un problème. »
Récemment, ses enfants lui demandaient avec inquiétude si la famille devrait déménager s’il ne trouvait pas d’emploi. Il a répondu un « NON » catégorique. « Je ne peux pas les déraciner, ils sont heureux à Quévillon. » En fait, le Quévillonnais invite tous les Québécois d’origines diverses à aller vivre en région ! « Au lieu de rester à Montréal à attendre de trouver un job, allez le chercher en région ! En plus, c’est plus payant », dit-il à plusieurs de ses amis, dont quelques-uns l’ont écouté et ont fait le grand saut.