50 ans de la crise d’octobre : Les Rose et la trajectoire de la famille ouvrière

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Collaboration spéciale. Rachel Sarrasin, professeure de sciences politiques dans le réseau collégial

Le documentaire Les Rose a pris l’affiche cet automne dans le contexte du 50e anniversaire des événements d’octobre 1970. Son réalisateur, Félix Rose, y trace le portrait « d’une famille ouvrière au cœur de la crise » : celle à laquelle il est relié par son père, Paul Rose, acteur central de cette période qui a marqué notre histoire. Certains commentateurs du film ont souligné avec regrets que l’œuvre ne transmet pas suffisamment de réponses aux questions qui demeurent sur la crise, notamment celles entourant la mort de Pierre Laporte. Dans une autre perspective, on peut aussi tirer du film des constats qui nous éclairent sur certains enjeux collectifs. Par exemple, que nous dit le film sur la « famille ouvrière » dans son sens plus large et quelles réflexions pourraient être d’intérêt pour le mouvement syndical d’aujourd’hui?

Au premier plan, le film donne à voir la trajectoire des membres de la famille Rose, depuis leur installation à Ville Jacques-Cartier, aussi connue à cette époque comme le « bidonville de Montréal » et jusqu’à la mort de Paul Rose en 2013. À travers les images d’archives et les commentaires sur l’évolution des réseaux felquistes au cours des années 1960-1970, on y découvre le parcours politique des membres de la famille Rose. Paul et Jacques, d’entrée de jeu, parlent de leurs idéaux forgés par les ravages de la pauvreté dans leur voisinage, par leur expérience des difficiles conditions de travail à l’usine de sucre Redpath, par les rassemblements de la jeunesse à la Maison du pêcheur à Percé et par les activités d’éducation populaire des comités citoyens dans les quartiers. Rose Rose (ça ne s’invente pas!), matriarche du clan, est tout à fait inspirante par sa droiture et sa ténacité, à travers un cheminement qui nous la fait d’abord connaître comme une alliée dans les batailles de ses fils, puis nous la faire découvrir comme pilier de la lutte pour la défense des prisonniers politiques.

Ces parcours individuels sont tracés dans un contexte social effervescent que le film met en évidence, entre lutte pour l’indépendance nationale, revendications pour la justice sociale et émancipation féministe. Ces images nous permettent de constater la présence de syndicalistes bien connus appartenant à diverses organisations syndicales aux côtés de la famille Rose, entre autres comme soutien dans la dénonciation des mesures de guerre au nom desquelles des centaines d’arrestations et des milliers de perquisitions furent réalisées. L’histoire nous rappelle d’ailleurs que cette convergence intersyndicale syndicale s’est prolongée par la suite dans d’autres combats, par ce qui a été désigné par le politologue Jean-Marc Piotte comme une « unité syndicale combative » qui s’est manifestée au cours des années qui ont suivi la crise d’octobre dans des actions communes en solidarité avec les lock-outés de La Presse et jusqu’au front commun syndical de 1972.  

L’une des forces du film réside dans sa façon d’incarner dans son récit les valeurs exprimées par les Rose comme étant au cœur de leurs motivations. À travers la quête de Félix Rose pour mieux connaître les siens, on prend la mesure de l’importance de la communauté à laquelle Paul fait souvent référence, que celle-ci soit familiale ou idéologique. Le film présente un équilibre entre le portrait intimiste et le regard sociologique. On ressent la solidarité qui lie autant les membres de la famille Rose que ceux et celles qui se mettent en marche dans les mouvements collectifs de l’époque. Sans verser dans la complaisance face à cette période, on peut tout de même souhaiter que soient réhabilitées davantage ces valeurs aujourd’hui, notamment dans les luttes syndicales qui sont les nôtres.

Le documentaire est disponible en ligne sur le site de l’ONF