Inflation : s’inspirer de la grande grève du 14 octobre 1976

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Par Guillaume Tremblay-Boily, chercheur associé à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)

L’inflation atteint en ce moment des sommets qu’on n’avait pas vus depuis presque 40 ans. Le loyer, l’essence, les matériaux de construction, l’épicerie… tout coûte plus cher !

Il faut bien sûr trouver des moyens pour régler ce pro­blème qui touche des mil­lions de gens et qui affecte de manière disproportion­née les moins nanti.e.s. Mais le remède que pro­pose la Banque du Canada – hausser le taux directeur – risque d’être pire que le mal. Il existe pourtant des solutions à l’inflation qui profiteraient vraiment au plus grand nombre.

D’abord, l’inflation, c’est quoi exactement ?

La Banque du Canada la définit comme une « une hausse persistante du niveau moyen des prix au fil du temps ». On la calcule en se basant sur l’indice des prix à la consommation, qui mesure l’évolution du coût d’un panier de biens et ser­vices d’une année à l’autre. Si l’inflation est de 2 %, un panier de biens et ser­vices qui coûtait 100 $ une année coûtera 102 $ l’année suivante.

Si l’on compare les prix de septembre 2021 à ceux de septembre 2022, l’inflation a été de 6,9 %. C’est beau­coup plus élevé que dans la dernière décennie, où il se situait entre 1 % et 3 %.

Qu’est-ce qui cause l’inflation ?

La principale cause de l’inflation actuelle est l’augmentation des coûts de transport, qui s’explique en grande partie par la hausse du prix du pétrole. Le baril de pétrole se vendait 60 $ US avant la pandémie, alors qu’il valait 115 $ US en juin 2022. L’augmentation du prix du pétrole a fait explo­ser le prix de l’essence à la pompe. Elle a aussi eu un impact majeur sur les coûts de fabrication et de trans­port des biens à travers le monde.

La deuxième cause de l’inflation actuelle est la hausse du coût du loge­ment, qui est alimentée notamment par la spécu­lation immobilière et par la transformation de loge­ments locatifs en logements touristiques.

Le troisième facteur le plus important est l’aug­mentation du prix des aliments. La guerre en Ukraine complique l’ap­provisionnement de plu­sieurs pays en blé, en huile de tournesol et en engrais. De plus, plusieurs pays pro­ducteurs de nourriture ont été affectés par des séche­resses et des inondations qui ont nui aux récoltes. Ces évènements sont liés aux changements climatiques.

En plus, les entreprises canadiennes semblent avoir profité du contexte d’infla­tion pour augmenter leurs prix. Cette manoeuvre leur aurait permis d’engranger des profits records. C’est particulièrement frappant dans le cas des magasins d’alimentation, qui ont plus que doublé leur marge de bénéfices entre octobre 2021 et mars 2022.

Que faire face à l’inflation ?

Pour contrer l’inflation, la Banque du Canada propose de hausser le taux direc­teur. C’est ce qu’elle a fait depuis mars : il est passé de 0,25 à 3,75 et il est possible qu’il augmente encore d’ici la fin de l’année. En gros, cela signifie que les taux d’intérêt ont augmenté et vont continuer à augmen­ter. L’objectif, c’est que les entreprises réduisent leurs investissements et que les ménages consom­ment moins. La Banque du Canada espère que cette réduction de l’activité éco­nomique amènera une diminution de l’inflation. Le problème, c’est qu’en utilisant ainsi une massue pour tuer une mouche, elle risque aussi d’entraîner plus de faillites et plus de pertes d’emplois, étant donné que l’économie canadienne risque d’entrer en récession.

De plus, la hausse du taux directeur ne s’attaque pas aux vraies causes de l’inflation. Elle ne fera rien pour régler les problèmes liés à la crise du logement ou aux perturbations cli­matiques (qui ont fait augmenter le prix des ali­ments), par exemple. Les gouvernements québécois et canadien devraient plu­tôt prendre des mesures qui aideraient réellement les gens à faire face à l’inflation et qui auraient des impacts positifs à long terme.

Les gouvernements pourraient d’abord com­penser l’inflation en gelant ou en réduisant les prix sur lesquels ils ont un contrôle direct : services de garde, tarifs d’hydroélectricité, frais de scolarité, cotisa­tions sociales, etc. Puisque la hausse du prix de l’es­sence est un des princi­paux facteurs de la hausse du coût de la vie, il serait utile de réduire collecti­vement notre dépendance au pétrole. La gratuité des transports en commun aide­rait sûrement à atteindre ce but. Ce serait aussi béné­fique pour l’environnement.

Des mesures pourraient être prises pour empêcher la spéculation immobilière et pour favoriser le logement social et abordable. Il serait aussi possible de surveiller davantage les entreprises pour les empêcher de refiler des hausses de prix exagé­rées aux consommatrices et aux consommateurs. En ce moment, dans le secteur de l’alimentation, cinq entre­prises accaparent 60 % du marché canadien. Avec si peu de concurrence, il est facile pour ces compagnies d’utiliser différents pré­textes pour gonfler les prix.

Des mobilisations pour l’indexation dans l’histoire

Pas besoin d’attendre que les gouvernements agissent pour contrer les effets de l’inflation. Dans chaque milieu de travail, les tra­vailleuses et les travail­leurs peuvent prendre les choses en main pour pro­téger leur pouvoir d’achat. Comment ? En se mobili­sant pour l’indexation des salaires. En effet, si ceux-ci sont automatiquement ajus­tés à l’augmentation du coût de la vie, l’inflation n’aura pratiquement aucun impact réel sur les salarié.e.s.

Dans les années 1970, les ménages québécois et canadiens ont aussi été confrontés à une inflation galopante (en moyenne 8 % par année pendant toute la décennie). Des milliers de travailleuses et de travail­leurs ont réagi en exigeant la réouverture de leurs conventions collectives. En menant parfois des grèves très dures, ils et elles ont obtenu des clauses d’indexa­tion automatique qui leur ont permis de maintenir leur pouvoir d’achat.

D’un océan à l’autre, les syndiqué.e.s ont aussi organisé une grève géné­rale d’une journée pour protester contre les mesures anti-inflationnistes mal avisées du gouvernement de Trudeau père : celui-ci avait instauré un contrôle des salaires, mais laissait les entreprises continuer à faire des profits records. Cette grève du 14 octobre 1976 reste à ce jour une des plus grandes de l’histoire du Canada. Elle a réuni 1,2 million de personnes, dont 250 000 au Québec.

Il est donc possible pour les travailleurs et travail­leuses de s’organiser pour revendiquer des salaires qui couvrent l’augmentation du coût de la vie et pour exiger que l’on se dote d’une poli­tique progressiste contre les effets de l’inflation, qui tient compte des besoins de la majorité.