L’environnement, les conditions de travail et la santé sécurité au travail dans le secteur de l’industrie biopharmaceutique

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Par Sébastien Campana, président du CRFTQQCA

Photo: SHUTTERSTOCK – MW 3DStudio

Le secteur de l’industrie pharmaceutique et biopharmaceutique est crucial pour la santé publique, car ces industries développent, produisent et distribuent des médicaments et des vaccins pour traiter et prévenir des maladies. Elles jouent un rôle clé dans la recherche, le développement et la découverte de nouveaux traitements contre les maladies chroniques, les maladies rares et doivent faire face à une augmentation des maladies émergentes qui menacent la santé de la population mondiale.

La qualité des conditions de travail dans ce secteur a un impact important sur les avancées et les découvertes scientifiques dans le domaine de la R&D, dans le secteur de la production qui est extrêmement exigeant, mais aussi dans la qualité de vie des travailleuses et travailleurs trop souvent oublié.e.s de cette industrie.

Soutenir, développer et améliorer les conditions de travail dans le secteur des sciences de la vie devient donc primordial pour la société. D’une part on doit s’assurer que ce qui est produit est d’une innocuité exemplaire, de garantir un accès aux produits médicamenteux les plus performants, et aussi pouvoir compter sur une disponibilité continue des médicaments et des vaccins pour la population.

Pour plusieurs raisons, le secteur des sciences de la vie est méconnu du grand public. Ces travailleuses et ces travailleurs ont été considéré.e.s trop souvent comme les « enfants gâtés » du monde du travail en raison du milieu dans lequel ils évoluent. Mais est-ce fondé ?

Il faut prendre conscience que les salarié.e.s de l’industrie des sciences de la vie font face à des situations très préoccupantes dans leur milieu de travail, et ceci au quotidien.

On peut constater les problématiques suivantes :

  • Santé Mentale :

Les salarié.e.s peuvent être confronté.e.s à de lourdes charges de travail, à des délais serrés et à de longues heures. Ceci peut occasionner du stress, l’anxiété de faire des erreurs qui peuvent s’avérer fatales, et l’angoisse de perdre son emploi.

  • Réglementation :

Les salarié.e.s doivent naviguer dans des réglementations nationales et internationales complexes, y compris celles liées à la recherche et au développement, ce qui peut être chronophage et extrêmement épuisant surtout quand les délais pour livrer les projets sont extrêmement courts.

  • Ressources limitées :  

Étrangement et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les énormes profits sont souvent synonymes de restructuration organisationnelle et de licenciement de personnel. Ceci peut accentuer les situations d’insécurité et avoir un impact en santé et sécurité au travail, et mettre en difficulté la qualité du travail en conjuguant performance et moyens disponibles.

  • Collaboration, communication et compétitivité :  

Collaborer avec d’autres départements, d’autres sites internationaux, ou organisations concurrentes peut être difficile en raison d’objectifs différents, d’échanges de données confidentielles, de conflits d’intérêts, le manque de communication claire, un mouvement de personnel à l’interne, les impacts de la délocalisation, les répercussion de l’Intelligence Artificielle, la réalité du télétravail international, protection de la loi sur le français au travail au sein des entreprises, l’insistance des profits à court terme et les conséquences sur le droit du travail, et le stress de vivre une fermeture d’usine est souvent présent.

  • Avancées technologiques : les dangers dans le monde du travail

Les obligations et les risques pour l’industrie pharmaceutique et biopharmaceutique de suivre frénétiquement le rythme rapide des avancées technologiques peut améliorer les performances de productivité, mais peut s’avérer néfaste pour les travailleuses et les travailleurs. Les virages technologiques impliquent une obligation d’investissement pour être à la fine pointe technologique ce qui peut avoir un impact sur les conditions de travail et peut nécessiter un renforcement des formations soutenues en technologies de pointe, ce qui implique pour les salarié.e.s une adaptation continuelle intense des formations.

Mais d’autres risques associés aux avancées technologiques peuvent avoir un impact important non seulement sur près de 17 000 travailleuses et les travailleurs dans ce secteur au Québec, mais également sur la population. Comme :

  • Les impacts environnementaux : La production et l’utilisation des produits pharmaceutiques peuvent avoir des impacts environnementaux importants lorsque sans règlementation, un abus sans limites des ressources naturelles et la négligence de la libération de déchets ont des conséquences notables sur l’environnement.
  • Les inégalités socio-économiques : les avancées technologiques augmentent de façon considérable le coût des produits pharmaceutiques et biopharmaceutiques, créant ainsi une injustice sociale sur la santé des populations, ainsi ces technologies peuvent entraîner une inégalité entre les personnes, les groupes socio-économiques, la santé-sécurité au travail et sur l’environnement.
  • Les répercussions éthiques et morales : les avancées technologiques peuvent soulever des questions éthiques et morales sur la modification génétique, le clonage, la mise en œuvre de thérapies génétiques et les étapes de fin de vie.
  • La stigmatisation et la discrimination : les algorithmes prédictifs produits par l’IA peuvent renforcer les stéréotypes et la discrimination basée sur des facteurs tels que la race, l’âge ou le genre.
  • L’Hyper-Dépendance : La dépendance à l’égard de la technologie pour la production biopharmaceutique peut créer des vulnérabilités économiques et sociales en cas d’indisponibilité ou de panne de la technologie. La collecte, le stockage et l’utilisation des données sensibles sur la santé pourraient être utilisés à mauvais escient.

La voie de la responsabilité éthique et sociale devient donc un enjeu majeur pour cette industrie. Trouver un équilibre entre la poursuite des découvertes scientifiques et les responsabilités éthiques et sociales demeure un défi extrêmement difficile et très coûteux pour les compagnies de ce secteur.

Ce coût a un impact direct sur les conditions de travail des salarié.e.s de l’industrie des sciences de la vie. Il est donc important de prendre en compte ces risques et de les aborder de front, en s’appuyant sur des réglementations réalistes, en augmentant les investissements en éducation et en mettant en place des pratiques de durabilité responsables afin de s’assurer que les avancées technologiques dans le secteur de la production biopharmaceutique profitent aux populations de manière sûre et équitable, sans pénaliser les travailleuses et les travailleurs.

Toutes ces réalités ont une incidence majeure sur la problématique de la transition énergétique et de la transition juste.

Les directives et les orientations que le secteur pharmaceutique et biopharmaceutique doit prendre sont gigantesques, mais surtout incontournables. Et l’industrie devra s’y attaquer le plus rapidement possible.

Mais comment ?

Les médicaments sous brevets, génériques, ou encore les vaccins, sont élaborés en utilisant différents procédés.

Que ceux-ci soient basés sur des procédés de chimie fine ou biotechnologique, ces produits de santé publique doivent impérativement se conformer à des réglementations nationales et internationales extrêmement strictes, et être fabriqués dans un respect des procédures auxquels ils doivent se soumettre. Aussi strictes soient-elles ces procédures sont absolument nécessaires.

Mais de quelle manière cette industrie peut-elle avoir un impact environnemental ?

La chimie fine, branche de la chimie, se concentre sur la production de produits chimiques de haute pureté utilisés dans différents secteurs de haute technologie des sciences tels que les principes actifs des médicaments, des produits phytosanitaires, des colorants, des arômes, des cosmétiques, des plastiques par synthèse, etc. Ceci implique des techniques avancées comme la purification et les analyses de molécules complexes afin d’obtenir des produits de très haute qualité. Pour toutes ces opérations, cela nécessite d’importantes quantités d’énergie telle que la vapeur d’eau, ce qui implique une gestion efficiente et primordiale de l’eau pour ce genre de procédé.

Lorsqu’on s’attarde à tous ces procédés, on comprend très vite que l’eau qui est une matière inestimable devient un maillon capital dans la chaîne des activités de ce secteur d’activité, et par conséquent a un impact déterminant sur la santé publique.

Préserver et comprendre l’impact déterminant de l’eau, est à lui seul un enjeu de santé publique.

Les industries doivent avoir une responsabilité sociale et environnementale concernant leur gestion de l’eau, puisque toutes les projections tendent à une raréfaction de l’eau potable.

Quelles en seraient les conséquences si notre société venait à en manquer ?

Au regard de la situation climatique actuelle, pourquoi n’y a-t-il pas une charte cosignée par les acteurs de l’industrie qui s’engagent à respecter un :

« plan provincial sur les Enjeux Climat, Santé et Environnement du secteur des sciences de la vie »

où tous les acteurs touchant aux sciences de la vie pourraient s’engager à :

  • Intégrer les recommandations du GIEC et de l’IPBES dans leurs pratiques
  • Contribuer activement aux objectifs de réduction de gaz à effets de serre en se basant sur les traités internationaux (accords de Paris) concernant les changements climatiques
  • Opter pour une meilleure empreinte environnementale concernant les déchets d’emballages, les résidus des médicaments périmés, de lancer un programme pour contrer les micropolluants, mettre en place un plan public pour gérer l’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux des patients en « autotraitement ».
  • Établir des règles strictes, transparentes et mettre en place un système de traçabilité plus efficace pour les matières résiduelles et les eaux usées de cette industrie pour garantir la préservation de la biodiversité.
  • Mettre en place des processus en considérant la santé environnementale comme un enjeu primordial et ne pas laisser la maximisation des profits dicter la ligne de conduite.

De multiples avenues sont à mettre en place ou sont à explorer. Mais déjà se dessinent des pistes de solutions, tels que :

L’approvisionnement durable en matières premières : l’utilisation de sources d’énergie renouvelables et la mise en œuvre de pratiques durables dans l’approvisionnement en matières premières peuvent réduire l’empreinte carbone du processus de fabrication.

La fabrication économe en énergie : La mise en œuvre de processus économes en énergie, tels que l’utilisation de sources d’énergie renouvelables et l’optimisation des processus de production, peut réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre.

Le transport durable : la réduction de l’empreinte carbone des transports en optimisant les itinéraires de navigation, en utilisant des véhicules à faibles émissions, en favorisant des transports collectifs pour les salarié.e.s et en réduisant la quantité de déchets peut contribuer à une chaîne d’approvisionnement plus durable.

La compensation ou la pénalité d’une taxe carbone : La compensation des émissions de carbone restantes par des investissements dans des projets d’énergie renouvelable et de séquestration du carbone peut aider à atteindre la neutralité climatique. Pénaliser les industries pollueuses peut inciter à mettre en place des processus plus durables.

Il est important de noter que si ces étapes peuvent contribuer à une chaîne d’approvisionnement plus durable, il reste encore beaucoup à faire pour rendre l’industrie des médicaments et des vaccins neutres sur le plan climatique.

La transition énergétique dans ce secteur aura un impact considérable sur la transition juste et équitable pour les travailleuses et les travailleurs.

Comment l’industrie répondra-t-elle aux multiples changements qui s’annoncent et comment réussira-t-elle à intégrer ses salarié.e.s sans créer de bouleversements socio-économiques, puisque les emplois actuels sont en voie de se professionnaliser et deviendront pour le coup de plus en plus spécialisé ?

Qu’impliquera la réduction de l’empreinte carbone sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, des matières premières jusqu’aux produits finis et quels en seront les impacts sur l’évolution de la science ?

Est-ce qu’une modification de la chaine d’approvisionnement d’un point de vue durable pourrait avoir un impact sur la santé publique mondiale ?

Il est indéniable que le secteur du pharmaceutique et du biopharmaceutique devra s’appuyer sur le concept de transition juste. Il est donc inévitable que les syndicats, les organisations environnementales et les associations citoyennes devront participer à cette collaboration.

Pourquoi ?

Les raisons sont multiples, mais trois raisons primordiales doivent être prises en compte :

  • Justice sociale : Les coûts en matière de santé publique sont en augmentation constante, ce qui rend les traitements pharmaceutiques et biopharmaceutiques de moins en moins accessibles aux populations vulnérables et défavorisées, mais aussi à un impact sur les assurances collectives.
  • Production durable : L’impact environnemental de la production de vaccins et de médicaments doit être observé de près, car les pratiques actuelles ne sont pas durables sur le long terme. De plus, les consommateurs sont de plus en plus sensibilisés aux pratiques commerciales durables et deviennent de plus en plus critiques face à la responsabilité sociale de cette industrie. La population s’attend à ce que les entreprises du secteur des sciences de la vie adoptent de meilleures pratiques environnementales, plus saines et beaucoup plus transparentes.
  • Maintenir la confiance : Les pratiques éthiques dans la recherche et la production de médicaments et de vaccins sont cruciales pour la santé de la population. Tout doit donc être mis en place pour garantir la confiance du public dans les traitements biopharmaceutiques.

Ces salarié.e.s ne doivent pas être les « oublié.e.s » ou les « ignoré.e.s » du monde du travail, et c’est à nous, en tant qu’organisation syndicale, de mettre en valeur l’importance de leur travail, et de travailler avec les acteurs concernés pour favoriser cette transition juste pour le bien de la communauté.

En optant pour une transition juste, le secteur pourra, sur le long terme, répondre aux défis sanitaires en garantissant la santé, la durabilité et l’éthique dans la production et la distribution des vaccins et des médicaments.

Le constat est incontestable : notre santé collective, la biodiversité et l’environnement sont intimement liés alors que l’industrie se trouve dans une position totalement ubuesque : « soigner et préserver la santé de l’humanité en empoisonnant la planète » : se trouverait-on au cœur d’un des plus grands paradoxes ?

Le paradoxe de l’industrie pharmaceutique.

Les résidus pharmaceutiques se retrouvent dans l’environnement via les eaux usées des hôpitaux, des maisons et des fermes, ce qui constitue une menace pour l’environnement et la santé publique. Malgré les réglementations internationales ou nationales, une importante quantité de médicaments utilisés ou non utilisés n’est ni collectée ni tracée. Les pays grands consommateurs de produits sanitaires au monde alertent sur l’importance de prendre en compte l’impact environnemental dans la production et dans la consommation de produits médicamentés.

La pollution pharmaceutique des rivières, des fleuves et des nappes phréatiques du monde est un problème environnemental important qui découle de l’utilisation généralisée des médicaments et de leur élimination inappropriée. Une fois dans l’environnement, les produits pharmaceutiques peuvent avoir des effets nocifs sur la vie aquatique, comme les poissons et autres animaux sauvages, et donc sur la santé humaine.

De plus, la pollution pharmaceutique peut avoir des impacts économiques, car elle peut endommager les pêcheries, limiter la disponibilité d’eau potable et augmenter les coûts de traitement de l’eau.

Les changements climatiques entraînent des conséquences complexes et globales qui nécessitent une action collective soutenue, y compris un changement radical dans les pratiques du monde du travail, dans nos comportements et dans les politiques publiques.

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, protéger les ressources naturelles et la biodiversité et ainsi s’adapter aux impacts du changement climatique, un changement sociétal doit s’opérer au plus vite.

Les méthodes et les habitudes de travail dans tous les secteurs d’activité, mais notamment dans celui des sciences de la vie doivent se transformer en pratiques plus durables et plus respectueuses de l’environnement.

Ceci est non seulement nécessaire, mais crucial, car notre responsabilité collective est déjà bien engagée.

Sébastien Campana

Président du CR-FTQ-QCA

Références :

Carbon footprint of the global pharmaceutical industry and relative impact of its major players – ScienceDirect

Estimate of the Carbon Footprint of the US Health Care Sector | Health Care Economics, Insurance, Payment | JAMA | JAMA Network

Pollution from drug manufacturing: review and perspectives | Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences (royalsocietypublishing.org)

Nanoparticules dans les médicaments : comment assurer le contrôle qualité (theconversation.com)

Les entreprises pharmaceutiques émettent plus de CO2 que le secteur automobile (futura-sciences.com)

https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/OKCP_Pollution-medicaments-rivi%C3%A8res_FINAL.pdf
https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2113947119
https://www.cereq.fr/sites/default/files/2022-12/Bref_432_web.pdf

Références :

Carbon footprint of the global pharmaceutical industry and relative impact of its major players – ScienceDirect

Estimate of the Carbon Footprint of the US Health Care Sector | Health Care Economics, Insurance, Payment | JAMA | JAMA Network

Pollution from drug manufacturing: review and perspectives | Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences (royalsocietypublishing.org)

Nanoparticules dans les médicaments : comment assurer le contrôle qualité (theconversation.com)

Les entreprises pharmaceutiques émettent plus de CO2 que le secteur automobile (futura-sciences.com)

https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/OKCP_Pollution-medicaments-rivi%C3%A8res_FINAL.pdf
https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2113947119
https://www.cereq.fr/sites/default/files/2022-12/Bref_432_web.pdf