Lorsqu’il fut élu secrétaire général de la FTQ au congrès de 1969, Fernand Daoust n’était pas un nouveau venu. Il avait été le secrétaire du Conseil du travail de Montréal de 1954 à 1957. À cette époque, il était aussi le secrétaire du comité d’action politique de la Fédération des unions industrielles du Québec (FUIQ), l’un des deux organismes fondateurs de la FTQ en 1957. Au début des années 1960, Fernand présidait le comité d’éducation de la FTQ. Il est devenu alors aussi membre du Conseil exécutif de la centrale. Il en fut élu vice-président en 1964.
Associé à l’aile gauche et nationaliste de la FTQ depuis quelques années, sa venue à la direction consacrait l’influence de ce courant de pensée dans les rangs des affiliés de la centrale.
Dès les premières années de son engagement syndical, Fernand avait développé des convictions profondes qui ont guidé son action tout au long de sa carrière. Il souhaitait que les syndiqués québécois contrôlent leurs instances syndicales. Il militait en faveur d’une action politique provenant du mouvement syndical. Il était aussi révolté de constater que les travailleurs et travailleuses québécois étaient souvent forcés à travailler en anglais.
Le combat du français

Très tôt, il a fait de cette cause l’un de ses combats majeurs et réclamait l’implication accrue de sa centrale dans cette lutte. Le Syndicat international des travailleurs des industries pétrolière, chimique et atomique, où Fernand a été conseiller, puis directeur québécois de 1959 à 1968, mènera de dures batailles, notamment contre les compagnies Cyanamid et Tolhurst, pour la reconnaissance du français comme langue des négociations.
Lors du congrès FTQ où Fernand fut élu secrétaire général de la centrale, les congressistes ont adopté une politique de la langue dont les grands principes se retrouveront quelques années plus tard dans la Charte de la langue française que le gouvernement du Parti québécois a fait adopter par la suite. Fernand est nommé membre de l’Office de la langue française dès sa création. Au cours des années suivantes, il n’aura de cesse de réclamer le renforcement et l’application rigoureuse de la Loi.
Une véritable centrale
Quand il militait à la FUIQ, Fernand était de ceux qui réclamaient une plus grande autonomie pour cette fédération québécoise face au Congrès canadien. Il soutenait les mêmes positions en faveur de la FTQ face au Congrès du travail du Canada. Le comité d’éducation de la centrale qu’il présidait en 1960 réclamait l’entière responsabilité de ce dossier. Fernand défendra les revendications d’autonomie de la FTQ dans les congrès du CTC à partir de 1966 et, plus particulièrement, à celui de 1968.
La FTQ réclamait alors le transfert de la responsabilité de l’éducation syndicale et de la coordination des conseils du travail avec les moyens financiers qui s’y rattachent. Ces revendications de « statut particulier » sont rejetées. Chaque fois, le CTC rappelait à la FTQ qu’elle était « un organisme subordonné ».
À la fin des années 1960, l’ébullition sociale et politique amena la FTQ à jouer un rôle accru de mobilisation et de coordination auprès de ses affiliés. Elle développa une autorité morale auprès d’eux et devint une actrice sociale incontournable. Mais elle n’avait ni les pouvoirs ni les moyens de son action.
Un lien fort avec les affiliés
Fernand était convaincu que, pour développer et consolider la FTQ, il devait raffermir les liens entre les affiliés en leur offrant des mécanismes et des services complets et efficaces. Devant les refus constants de la centrale canadienne, il décida de passer à l’action et de créer avec les moyens du bord un service d’éducation.
Ce service s’ajoutait à un service de recherche déjà très productif et au service de l’information qui se développait et se consolidait. Viendront ensuite les services de la condition féminine, de la santé et de la sécurité du travail, de la francisation, de la coordination des affiliés, de la solidarité internationale, et le dossier des délégués sociaux.
La force et l’efficacité de ces dossiers provenaient des réseaux de militants et militantes qui œuvraient dans tous les milieux de travail et dans toutes les régions.
Cette cohésion exceptionnelle expliquait l’importance sociale et politique que la FTQ occupait dans la société québécoise et l’influence qu’elle a eue sur son évolution. Tout cela, nous le devons à Fernand Daoust qui a mis toute son énergie à construire la centrale dont il rêvait.
La souveraineté syndicale
Le dernier de ses grands accomplissements est sans contredit l’accession de la FTQ à sa souveraineté syndicale.
« Lorsque j’ai fait mes premiers pas dans le syndicalisme, au début des années cinquante, j ’étais souvent outré de constater que plusieurs de mes camarades syndicalistes, engagés dans la lutte contre toutes les formes de discrimination, n’étaient pas scandalisés par la condition des ouvriers et ouvrières francophones, obligés de “baragouiner” l’anglais pour conserver leur emploi ou obtenir des promotions dans l’entreprise. »
Intervention de Fernand Daoust, Forum mondial de la langue française, Québec, juillet 2012.
Après les rebuffades essuyées par la FTQ de la part du CTC sur le dossier de l’éducation, le débat est à nouveau relancé en 1974. Au congrès du CTC cette année-là, la FTQ a fait un premier gain majeur : elle aura désormais l’entière responsabilité de l’éducation et des fonds lui seront transférés à cette fin. En outre, l’équipe de permanents régionaux du CTC sera sous sa direction, tout comme la coordination des conseils du travail. La FTQ avait désormais une présence régionale.
Dans les années qui ont suivi, les avancées autonomistes de la FTQ sont limitées. Elle crée alors le Comité de coordination des affiliés (COMCOR) et se donne la responsabilité d’arbitrer les conflits de juridiction entre syndicats affiliés. La direction du CTC s’y opposait d’abord, puis laissa ensuite le champ libre à la FTQ. À la fin des années 1980, suite aux demandes répétées de Fernand, le CTC reconnut à la FTQ une certaine responsabilité en solidarité internationale, principalement dans la francophonie syndicale. Il s’engagea aussi à financer un poste affecté à ce dossier.
Cet accord fut suivi d’une nouvelle crise. Au congrès du CTC de 1992, la FTQ soutenait officiellement l’un de ses vice-présidents, Guy Cousineau, comme candidat à la vice-présidence de la centrale canadienne.
Son élection devrait être acquise puisque, depuis 1968, un accord tacite voulait que le candidat soutenu par la FTQ soit automatiquement élu. Pourtant, la direction canadienne et plusieurs syndicats lui opposèrent un autre candidat qui fut finalement élu. Pour la FTQ, c’était une gifle.
Fernand prend la parole après le vote :
« C’était un pacte sacré entre nous, une tradition historique. Elle a été brisée […]. Ce message-là, il faudra le décoder. Nous sommes humiliés. Nous aurons à décider de notre avenir à l’intérieur du CTC, avec courage et une grande humilité. »
Heureusement, le nouveau président, Bob White, était conscient de la profondeur de la crise et il s’engagea à discuter avec la FTQ du statut qu’elle estimait devoir avoir au sein du mouvement syndical canadien.
Des négociations entre Fernand et Bob White ont abouti à une entente globale qui donna à la FTQ une souveraineté politique pleine et entière et reconnut que « dans les faits, l’incarnation du CTC au Québec, c’est la FTQ ».
Cette entente historique, qui sera confirmée par l’amendement des statuts du CTC, fut le dernier grand fait d’armes de Fernand, qui quitta la présidence de la centrale l’année suivante. Elle couronnait surtout tous les efforts de cet homme qui a consacré une bonne partie de sa vie à bâtir ce grand mouvement au service des travailleurs et travailleuses et du peuple québécois.
André Leclec, Biographe de Fernand Daoust